Petites Énigmes et Enquêtes

Rose

Rose cligna des paupières, éblouie par le rai de lumière qui filtrait à travers les volets clos. Elle se redressa avec difficulté pour quitter la couche qui l’avait accueillie à même le sol. Elle avait mal partout. Mario avait eu la main lourde. Un jour, c’est sûr, il allait la descendre. Elle avait beau tenter de jouer les femmes soumises, elle ne pouvait s’empêcher de se rebeller de temps à autre, et ça finissait toujours de la même manière. Mais depuis hier, tout était différent ! Elle avait maintenant un petit être à protéger, et comptait bien sortir de ce marasme en bon état, et lui avec ! Elle devait mettre un plan d’action au point, mais elle était si fatiguée ! Elle tourna en rond dans la pièce, qui naturellement était fermée à clé. Elle dénouait ses articulations, faisait jouer ses muscles endoloris, et tentait de penser à autre chose qu’au fait qu’elle se savait enfermée là.

Rémi

Rémi sourit, tout à fait conscient que la fille se moquait. Lola s’était quasiment collée à lui. Elle respirait sa chaleur, et des effluves de prix. Elle évaluait le statut de l’homme à la qualité de ses fringues, à la notoriété de son parfum, à sa stature et la manière dont il se tenait. Celui-ci était jeune certes, mais sentait le bon petit bourgeois propre sur lui, et qui n’avait jamais manqué de rien. Il humait bon ! Rien à voir avec les émanations de tabac, d’alcool et de transpiration que dégageait Manu. Il rentrait toujours à pas d’heure, à moitié éméché. Il la réveillait, la bousculait pour qu’elle s’occupât de lui. Elle devait l’aider à se déshabiller, puis devait l’écouter raconter sa soirée en long et en large. Jeu et beuveries avec des potes tout aussi dépravés que lui. Ça finissait toujours de la même façon : il la sautait vite fait pour, comme il disait, bien terminer la journée ! Sordide ! Après ça il sombrait dans un sommeil éthylique !

Gabriel

Depuis son premier mensonge, il y avait de cela environ quinze ans, il avait peaufiné ses rodomontades au point d’avoir atteint le seuil critique.

Ses rapports avec les filles n’avaient pas changé. Ils les choisissaient belles, amoureuses, et stupides. Il leur servait avec délectation des bobards où sonnait un accent de vérité qui, selon le boniment, les faisaient rire ou pleurer, voire les deux à la fois. Son but n’était pas de les attirer dans son lit, mais de voir dans leurs yeux cette étincelle admirative. De ressentir sur le dos de ses mains le picotement provoqué par cette hormone du stress qui accélérait les battements de son cœur, et lui donnait le tournis. Il leur débitait sans complexe des histoires abracadabrantes où il avait toujours le beau rôle, celui du héros. A l’écouter il aurait, depuis quelques années, sauvé un nombre impressionnant de personnes, et même de personnalités. Superman à côté, était un petit joueur !

Tout en marchant dans les allées embaumées de senteurs estivales, il se mit à parler tout haut. Il levait les bras au ciel, s’adressant aux arbres. Il n’en attendait pas de réponse, mais était également certain de ne pas être contrarié ! D’ordinaire, il déblatérait le fruit de ses réflexions à Coca, mais lors de leur course en forêt ça n’était pas possible. Monsieur Coca n’était pas disponible ! Alors, son besoin d’exprimer ses ressentis qui parfois allaient jusqu’à l’étouffer, le poussait à s’adresser à un autre organisme vivant. Il aimait les chênes, et un tout particulièrement. C’était un vieil arbre qui s’était épanoui au fil des années. Son tronc noir et noueux supportait vaillamment sur toute sa hauteur, une dizaine de branches solides et saines. Il distillait une fraîcheur bienveillante au promeneur fatigué d’une longue marche. Gabriel siffla Coca qui avait disparu dans les taillis, puis il plia ses longues jambes pour s’installer confortablement au pied de son ami végétal.

José

Il avait espionné José toute la semaine, s’embusquant derrière les rayons de produits frais et les consoles de boites de conserve empilées. Il l’avait guetté lors de la mise en place du matin, avait surveillé ses gestes et ses paroles pendant qu’il conseillait les clients avec une conscience toute professionnelle, et une patience enviée. Monsieur Chevignon était même allé jusqu’à lui confier la caisse du magasin, prétextant un travail urgent à accomplir à la réserve. Il l’avait eu à l’œil sans surprendre la moindre attitude, ni le moindre mouvement suspects.
« Quelle chance vous avez d’avoir José ! » lui disaient les clients à tout bout de champs ! Monsieur Chevignon répondait par un sourire crispé, et pensait « Si vous saviez ! ». Mais lui-même ne savait toujours pas ! Pourtant ce soir, il l’avait de nouveau constaté, il manquait de l’argent dans la caisse et des produits dans son magasin.
— Ah il est fort le bonhomme ! se disait-il tout haut en serrant le poing !
En même temps, Monsieur Chevignon, s’inquiétait ! Et s’il trouvait la preuve qu’il cherchait, il lui faudrait bien sévir ! Il chassa d’un geste de la main cette option qui pour l’instant n’était pas à l’ordre du jour. Aujourd’hui, il lui fallait compter, compter, et recompter encore … pour en avoir le cœur net !